Le Club des incorrigibles optimistes

Michel est un jeune homme de son temps. Né dans les années 50, élève à H4 par tradition familiale, il se passionne pour le rock américain et fréquente assidûment les « bâbi » (comprenez babyfoot) de tous les troquets du coin. C’est au Balto, place Denfert-Rochereau, qu’une porte mystérieuse attire son attention. Un panneau y annonce le « club des incorrigibles optimistes ». Curiosité piquée, le jeune garçon s’invite dans cette arrière-salle un peu sombre. Une assemblée d’hommes y joue aux échecs. Michel, discret, observe. Il finit par apprendre les règles du jeu et sympathiser avec les membres du club, qui lui racontent tour à tour leur histoire. Tous ont fui leur pays d’origine pour sauver leur peau de l’arbitraire des régimes communistes totalitaires. Leurs confidences font écho à la vie de Michel, témoin des passions déchaînées par les convictions politiques et la guerre d’Algérie.

J’ai deux choses à dire sur ce roman : d’abord, c’est un excellent livre. Ensuite, son titre relève de la publicité mensongère.

Un excellent livre donc. Le contexte historique est remarquablement fouillé, on s’y croirait et c’est pittoresque. Michel est un jeune garçon attachant, serti dans un riche tissu relationnel qui couvre un large spectre de la société de son époque. Chacun des personnages est fouillé, avec une personnalité propre, ils sont tous attachants à leur manière dans leur humanité, leurs failles et susceptibilités.

Un titre mensonger ensuite. La devise du club est : « le pire est devant nous : réjouissons-nous ! » [1]. Comme optimisme j’ai déjà vu mieux [2]. Néanmoins ces faux optimistes forment une belle communauté humaine. Chacun de ses membres a un passé douloureux, une histoire complexe et une grosse dose de regrets impuissants. Ils racontent leur expérience à Michel sous forme de mise en garde : apprendre au jeune garçon quelles ont été leurs erreurs pour qu’il ne les répète pas une fois adulte. Ils mettent tous leurs espoirs en la nouvelle génération que Michel représente, celle qui n’a pas connu les mêmes horreurs qu’eux, ni la guerre, ni les pénuries, ni le totalitarisme.

Espoir doux-amer puisque cette génération privilégiée est confrontée à la guerre d’Algérie, aux attentats terroristes, à la surveillance du régime gaulliste, mais surtout aux conflits d’opinions et à tous les problèmes immuables de l’âge adulte.

J’ai également apprécié que malgré le milieu majoritairement masculin dans lequel évolue Michel, quelques femmes fassent des apparitions notables. Elles s’insèrent parfaitement dans le déroulement logique du récit et sont bien loin d’être de simples alibi pour éviter l’histoire entièrement masculine. Au contraire, elles jouent un rôle clef dans l’évolution du personnage de Michel, et avaient chacune une vraie profondeur de caractère que je salue [3].

Enfin il me faut saluer le travail du lecteur, M. Stéphane Ronchewski. Le timbre agréable, la diction fluide, et ces pointes d’accents qui viennent orner le discours des réfugiés communistes, tout cela concourt à une écoute attentive et plaisante.

En bref : un excellent roman qui raconte des histoires puissantes, avec un souci admirable du détail. Une plume précise et fluide qui emmène sans effort le lecteur du quartier latin d’avant 68.


[1] C’est une citation littérale, mais comme j’ai écouté le livre je serais bien en peine de donner les références précises de ce charmant adage.

[2] Le mot de l’auteur, enregistré à la fin du CD, explique néanmoins que ce titre est une référence explicite à Milan Kundera. Comme je ne connais cet auteur que de nom, ce renvoi n’a malheureusement pas fait mouche chez moi.

[3] Au moment d’écrire ces mots, je viens de mettre la dernière main à ma chronique sur le Hobbit, d’où le besoin que j’ai ressenti de souligner cette différence.

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