L’île sous la mer, d’Isabel Allende

Allende Isabel La Isla bajo el mar

Pour une esclave de la fin du XVIIIème siècle à Saint Domingue, Zarité est née sous une bonne étoile. Vendue à neuf ans à Toulouse Valmorain, elle ne connaît pas l’enfer des plantations ou des fabriques, mais demeure une esclave privilégiée : une esclave domestique. Si cela rend sa vie plus supportable, cela ne la met pas à l’abris des maux qui affligent les siens. Elle doit subir les affronts, impuissante, et assiste à la montée de la révolte.

Ce livre est une « ode à la liberté », ainsi que le précise la quatrième de couverture. Il décrit des évènements historiques, trop souvent mal connus alors qu’ils concernent au premier chef la France et son passé esclavagiste. Tout cela à travers l’histoire d’une esclave, parmi les millions ayant souffert un sort similaire, Zarité.

C’est fait à la manière d’une fresque. On suit d’abord un personnage, puis un autre, dont le point commun est qu’ils croisent le chemin de Zarité, et qu’ils auront une influence sur son destin. Le tableau de société est ainsi complet. On apprend à connaître chacun d’eux, ils seront une quinzaine. On les voit interagir, et Tété, en retrait, les observe.

Puis la narration est interrompue par un monologue intérieur du personnage principal. Zarité révèle des évènements qui l’ont touchée de près, mais qui sont restés dans l’ombre. Elle le fait de manière apaisée, sans colère, mais sans rien cacher de sa douleur non plus. Car ces petites choses qu’elle raconte en peu de phrases, ce sont les horreurs que lui impose son statut d’esclave. Des choses que les blancs ne remarquent même pas, des cruautés dont ils n’ont pas conscience… Ces monologues sont donc extrêmement marquants et poignants. Ils apportent un contre-point à la narration, qui ne dévoile que les émotions exposées au grand jour.

La phrase « c’est ainsi que ça s’est passé » scande ces intermèdes, comme si l’esclave à qui on a si souvent dénié la parole, et la possibilité d’exprimer ses sentiments, tient à rétablir la vérité.

Outre cette superbe galerie de personnages, et ce récit qui incite à la prise de conscience sur les horreurs de cette époque, j’ai aussi énormément apprécié le tableau des lieux et du temps.

C’est un livre engagé ; on sent une profonde envie de forcer les Occidentaux à faire face aux horreurs du passé, à mettre le nez dans les aspects les moins reluisants de leur histoire. On connaît les dizaines de livres qui existent sur la Shoah, les récits poignants des survivants. Mais on connaît nettement moins le calvaire subi par les Noirs sous l’esclavagisme, un phénomène qui pourtant n’est pas de moindre ampleur.

J’ai adoré vivre avec chacun des personnages, suivre leur évolution et les voir mener leur vie comme ils le peuvent, avec toutes les restrictions et les souffrances que leur causent l’esclavage, chacun à sa mesure. Depuis la belle mulâtre dont la seule carrière possible est celle de prostituée de luxe, jusqu’au médecin blanc qui ne peut vivre au grand jour avec la femme qu’il aime et ses enfants, parce qu’ils sont noirs, tous souffrent d’une manière différente du destin que leur imposent les circonstances et la sociétés.

Pourtant, malgré tout cela, ce livre ne verse jamais dans la victimisation ou le pathos excessif. Le récit est fait avec finesse, et bien plus dans le sous-entendu que dans la revendication.

Quant au niveau de langue espagnol, je n’ai eu aucun problème à suivre le déroulement de l’histoire. Certaines phrases me sont un peu passées au-dessus de la tête, mais jamais assez pour que je sois perdue à aucun moment. Une excellente expérience, donc !

En bref : un coup de cœur pour ce livre magnifique que je recommande chaudement. On apprend énormément sur les circonstances historiques tout en suivant avec plaisir une galerie colorée de personnages. La fresque qui se dégage de ces histoires entremêlées est magistrale.

5 commentaires sur “L’île sous la mer, d’Isabel Allende

  1. Comme je te l’ai dit, j’adore cette auteure qui a une palette de genres assez incroyable dans sa manche. « Paula » m’a fait pleurer (le sujet est délicat), « La casa de los espiritus’ m’a fait frémir, et j’aime beaucoup sa saga qui commence par « El reino del dragon de oro » qui se passe dans la jungle.
    Comme tu lis en espagnol, je ne sais pas si tu connais Luis Sepulveda? Je suis fan…

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    1. Non, je commence tout juste à me mettre à la lecture en espagnol. J’avais adoré l’histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler, mais je ne connais aucun autre de ses romans…
      Et je vais continuer à lire Isabel Allende, c’est certain, surtout si tu me mets l’eau à la bouche comme ça…

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