Moi, Malala

Lorsque les talibans ont pris le contrôle de la vallée du Swat, au Pakistan, une toute jeune fille a élevé la voix. Refusant l’ignorance à laquelle la condamnait le fanatisme, Malala Yousafzai résolut de se battre pour continuer d’aller à l’école. Son courage faillit lui coûter la vie.
Le 9 octobre 2012, alors qu’elle n’avait que quinze ans, elle fut grièvement blessée par un taliban dans un car scolaire. Cet attentat censé la faire taire n’a que renforcé sa conviction dans son combat, entamé dans sa vallée natale pour la conduire jusque dans l’enceinte des Nations unies. À seize ans à peine, Malala Yousafzai est la nouvelle incarnation mondiale de la protestation pacifique et la plus jeune candidate de l’histoire au prix Nobel de la paix.

Je connaissais Malala de nom, mais n’étant pas spécialement friande d’actualité, je ne m’étais jamais renseignée plus avant sur son parcours ou son combat. Voilà cette déplorable lacune désormais comblée ! Bien plus : j’ai également découvert l’histoire d’une région et d’un peuple du Pakistan, les Pahksuns.

Au début, cela n’a pas été sans mal. Il faut le dire tout net : les détails généalogiques et historiques donnés au début, pour poser le cadre et présenter le contexte, sont franchement longuets. J’ai failli me décourager, mais heureusement Hélène, du blog ma toute petite culture m’a rassurée : le reste n’était pas de la même eau.

Elle avait amplement raison. Je dirais carrément après avoir fini le livre que même s’il faut s’accrocher pour lire cette première partie, c’est elle qui donne à la suite du livre toute sa puissance. Ce sont ces descriptions qui font saisir toute la profondeur de l’amour que porte Malala à son pays natal et sa culture. C’est cette profondeur qui prête à la fin du livre son caractère poignant, et qui confère l’émotion au texte.

Car au-delà du simple récit de vie – vie au combien extraordinaire pour une jeunette née en 1997 – ce texte permet de toucher du bout du doigt les difficultés terribles que Melle Yousafzai a dû affronter. Les mots qu’elle a su trouver, aidée de sa coautrice, Mme Christina Lamb, décrivent des faits nus. En cela, ce témoignage m’a rappelé Un long chemin vers la liberté, une autre autobiographie qui m’a profondément affectée. Cependant, alors que dans le cas de M. Mandela, j’avais trouvé ce détachement quelque peu perturbant, chez Malala on sent tout un monde d’émotion derrière des termes relativement simples. Cela rend son histoire d’autant plus touchante et profondément émouvante.

Je reste fascinée et infiniment impressionnée par la description du courage des habitants du Swat, région dont Malala est originaire. Elle décrit les comportements de son père, et les siens, comme des choses allant de soi pour un Pashtou (acceptez mes réserves sur l’orthographe, j’ai écouté le livre et ne revendique aucune certitude sur ce point). Ou bien son peuple est un peuple tout entier composé de héros, ou bien l’autrice sous-estime sa propre valeur et celle de son entourage. Je penche pour la seconde solution, mais ce n’est que mon appréciation personnelle.

Paradoxalement, je suis moins convaincue par l’argumentation en faveur d’une éducation des filles. Comprenez-moi bien ; je ne remets pas du tout en doute sa nécessité. Je crois qu’il faudrait être bouché ou ignare pour cela, et j’aime à penser que je ne tombe dans aucune de ces catégories.

Mais il ne s’agit pas du principal enseignement que je tire de cette autobiographie. J’ai été bien plus impressionnée par la description de l’arrivée au pouvoir des talibans, que Malala appelle « militants ». La jeune fille présente avec une clairvoyance surprenante les mécanismes qui ont amené les habitants de sa vallée à confier leur destinée aux extrémistes. Surprenante en effet : elle avait 10 ans au moment des faits. Mais elle décrit tout de même avec précision les opérations de manipulation organisées par les talibans, avec de vagues relents de 1933 sur la manière d’influencer les foules par un dirigeant charismatique. Vu la montée des populismes en Europe ces dernières années, cette description ne peut que faire froid dans le dos.

Cette lecture a été d’autant plus intéressante qu’elle constitue sans aucun doute le prolongement du livre de Khaled Hosseini, Mille soleils splendides, qui présentait l’histoire de l’Afghanistan voisin. Là aussi, la condition des femmes sous le joug des talibans était au cœur de l’histoire. Sauf qu’ici, bien évidemment, on est en présence d’un témoignage réel d’une toute petite fille, qui refuse de se laisser dicter sa conduite et parle publiquement pour défendre sa liberté et son droit d’être elle-même. Or, la jeune Malala a une passion : aller à l’école. Hors de question d’y renoncer. Cela ne manquera pas d’ébahir les écoliers européens qui rechignent parfois à travailler…

Mais le problème de l’éducation des filles ne constitue qu’un épiphénomène. Le vrai sujet me semble être les droits des femmes dans cette région du monde. Si l’occupation par les talibans empire indubitablement la chose, il semble que la tradition pashtou ne facilite déjà pas la vie des femmes. De fait, j’ai eu le sentiment qu’une bonne partie du combat de Malala résidait dans la nécessité de convaincre beaucoup de gens que ces traditions et l’Islam ne s’opposaient pas à l’indépendance et l’éducation des femmes, abstraction faite des extrémistes. Qu’il n’est pas haram qu’une fille étudie et occupe un métier.

En bref : une lecture extrêmement riche qui pousse à la réflexion. Cette autobiographie me laisse avec un profond respect pour Melle Malala Yousafzai et son combat, et une connaissance toute neuve de l’histoire du Pakistan en général et de la vallée du Swat en particulier.